Non, il ne s'agit pas de Jogging ! Un adhérent doué d'une telle plume, c'est un régal. Partagez-le avec nous. |
Ouh là : il y a beaucoup de monde vers la ligne de départ. Slalom obligatoire. J'ai déjà la bouée au vent en tête. En régate, le départ est capital. Pour le moment, en fait, je dévale à perdre haleine vers la gare de Lyon Perrache. Si les roulettes de mon sac de voyage lâchent, c'est foutu. La voile est un sport mécanique ! Cours maraud, cours ! Le National, j'y pense depuis des mois. J'ai répété le parcours la veille dans cette ville que je connais peu et où je travaille cette semaine-là. Ça n'est pas gagné !
Dix ans de patience
Faire quelques ronds dans l'eau avant ne serait pas du luxe. Allez, cours maraud, cours ! Rovan a nourri nombre de nos conversations ces dernières années. Si c'était à refaire, Claude ne le referait pas. Il en construirait un neuf. Mais, voilà c'est fait ! Et bien fait. J'ai grande hâte de naviguer dessus. Et Claude ? Il est tout à la fois sur des charbons ardents et sur un petit nuage. Faute des loisirs nécessaires, voilà dix ans qu'il patiente, son bateau en tête à défaut de l'avoir toujours sous la main. Dans ses montagnes, travailler dans le jardin n'est pas toujours possible.
La photo de son Maraudeur sous la neige, primée lors du concours photo, est très explicite.
Je risque le tout pour le tout : empannage à la volée dans le dernier escalier, virement bascule sur le quai, je me jette dans le premier wagon à portée. Moins de trente secondes après le train s'ébranle. Ouf ! Une heure et demie plus tard le seul équipage jurassico-francilien licencié en Bretagne au CN Etel est au complet. Oui. Cette année nous avons pris une licence avec l'intention de courir une ou deux régates en plus du National. Le hasard nous a un jour fait nous rencontrer au bord de la rivière d'Etel, dans le Morbihan.
Le club installé à la pointe du Pradic, au bord de la rivière d'Etel, fait découvrir la voile à des pléthores de gamins. Et l'adhésion est dans l'esprit de la voile pour tous défendu par Jean Jacques Herbulot, l'architecte du Maraudeur : 5,00 €.
Le Maraudeur a scellé une amitié durable. Ça n'est pas le moindre des mérites de cet épatant petit bateau. Du National 2008 naîtront d'ailleurs comme d'habitude de nombreux liens nouveaux.
Le skipper et le bateau sont nés la même année
Rovan, né en 1959 comme Claude, a presque cinquante ans. Un « bois » refait à neuf presque cinquantenaire pour fêter le cinquantenaire du Maraudeur : difficile de faire mieux. Nous roulons vers Vouglans dans la jolie campagne jurassienne. Je me sens gai comme un pinson. Claude est plus soucieux : « dis, tu crois qu'il va vraiment flotter ? ». J'explose de rire. Vu le soin apporté à la quasi-reconstruction de Rovan, numéro 81 de la série, je vois mal comment il pourrait prendre la moindre goutte d'eau. Je sais que le travail a été mûrement réfléchi avant d'être sérieusement réalisé.
La tente est déjà piquée. Le camping est pour moi un des plaisirs du National. La clairière en bord de chemin où Jean-Marc, le responsable de la base nous permet de camper à titre gracieux (merci !), est accueillante. À l'image de tous les personnels de Bellecin toujours prêts à vous faciliter la vie. Quelle tranquillité au bord de ce lac. Quoi que... Bruits de voix dans la nuit, avec accent toulousain marqué. Pas encore endormis, nous pouffons de rire. La Sardine !
La Sardine vient d'arriver. Jean-Luc et Denis installent leur tente. Tiens, des voix inconnues. « Putain con », ils sont venus avec des renforts ! Une équipe de spécialistes du renflouage peut-être ? Non. Jean-Pierre et Jean-François, un nouvel équipage de l'US Riveraine. Nous ferons connaissance dès le matin avec ces gais lurons. Oh Toulouse ! Tu n'engendres pas la mélancolie !
Jeudi. Le soleil du matin -une préfiguration de quatre magnifiques journées- éclabousse Rovan, encore sur sa remorque, d'une belle lumière. Juste ce qu'il faut pour réchauffer l'immaculée blancheur de sa coque, de son pont et de son roof. L'idéal pour donner aux vernis du mat et du cockpit un éclat profond. Oui, mesdemoiselles, mesdames et messieurs, vous êtes devant un « bois », un vrai. Avec mat en spruce, s'il vous plait ! Pas de fioritures, retour à la simplicité originale.
Le bois des listons n'a pas été coupé en Afrique dans des conditions douteuses. C'est du bel épicéa jurassien, droit de fil, exploité localement dans les règles de l'art. Oui de l'épicéa, équipages Toulousains qui riez sous cape, tout en rêvant de construire un bois en contreplaqué. Plus épicéa, les gars, vous le savez bien. Pas la peine de faire semblant, puisqu'à tout bout de champ vous invoquez désormais ce résineux à qui le massif du Haut Risoux donne d'exceptionnelles qualités mécaniques !
Rovan remis à l'eau !
Allez, à l'eau ! Incrédule, le treuilliste doute que le bateau date de 1959. Rovan descend la cale. Un très grand moment. Mais pourquoi Jean-Louis fait-il de grands gestes ? « Arrêtez, arrêtez ! »Diable, que se passe-t-il ? On stoppe, dubitatifs.
Rien de grave : le président veut juste enrichir le prochain tome de son histoire du Maraudeur. (Probablement disponible pour le cinquantenaire de l'association, en 2010 !) Émouvant, l'instant où Rovan touche l'eau est également historique. Si, si ! Claude exulte. Je suis ravi de partager cet instant de grâce.
« Sauvons les bois ! », implorent tour à tour les présidents de l'AS Maraudeur. Le 81 est hors de danger. Rovan -la « boite en bois » traduit littéralement du jurassien- est aussi beau qu'à son neuvage ! Et il flotte, pile dans ses lignes. Chapeau bas Claude ! Avec, tout au début, ses trous dans la coque gros comme le poing, Rovan avait piètre allure.
Il faudrait un livre pour dire les soirées de réflexion solitaire, les heures de discussion avec les uns et les autres. L'incertitude qui monte de démontage de pièce malade en pièce malade ; les jours sans fin de décapage et de ponçage, le découragement qui gagne parfois... Les hivers à attendre le printemps pour qu'il fasse assez chaud pour utiliser l'époxy, le plaisir à fabriquer enfin des pièces neuves, l'agacement après l'apprêt qui révèle la multitude de défauts à corriger, les doutes face au choix de l'implantation de l'accastillage, la quête patiente de pièces détachées d'occasion...
Sans fuite, ni reproche
Le National, en régate ou en grande maraude, montrera que Rovan ne prend pas une goutte d'eau. Un « bois », ça ne fuit pas forcément. Et côté sensations ? On est assis très confortablement. Va-t-il plus vite que Beg en Havr, mon Gallois sur lequel nous avons toujours navigué jusque-là ? Difficile à dire comme cela, tout de suite. Avec plus de vent, je pense que nous serions allés plus vite qu'avec le Gallois, que Rovan accélère plus franchement. Côté résultats, avec une place de vingtième au général et une place de quatorzième comme meilleur résultat, à égalité d'entraînement (nul !), de voiles (loin d'être neuves !), et de compétences (à grandement améliorer !), nous n'avons fait ni mieux ni pire que d'habitude.
Il reste des moments inoubliables. Quand nous avons coiffé Cécile et Francis sur le poteau à la quatrième manche. Et qu' Elliot nous a rendu la pareille deux manches après, dans un éclat de rire général. Quand, bord à bord avec Stella Maris en route vers la dernière bouée de la dernière manche, François et Jean-Pierre nous ont courtoisement demandé s'ils pouvaient lofer plus que leur route normale pour nous barrer le chemin et éviter que nous ne les dépassions. Comme si nous étions capables de répondre à une question pareille !
Et cette manche où en réparant la faute après avoir touché une bouée, tout le monde nous est passé sous le nez. Pour une fois que nous avions pris un départ presque bon. Misère ! Antoine nous dira après coup qu'il aurait suffi d'un virement et d'un empannage après la bouée. Nous aurions pu nous dispenser de faire le grand tour pour repasser la bouée. De quoi donner envie de lire son « Réglatactiquer »... Et ce rappel général alors que le vent se renforçait. Quel joyeux bazar !
Le national au planning
Non, vraiment, le National du cinquantenaire était épatant. Trente cinq bateaux ! Cinq fois plus de participants qu'en 2004, dont 14 % de promeneurs tentés par le rassemblement. Régatiers dans l'âme ou non, tout le monde avait sa place : une très saine conception. Loin de moi l'idée d'un quelconque culte de la personnalité. Chacun, en effet, apporte sa pierre à l'édifice de l'AS Maraudeur, ne serait ce qu'en y adhérant. Mais, la retraite à temps plein à l'AS de Jean-Louis et de François a beaucoup fait pour envoyer le National au planning en 2008. Cours Maraudeur, cours ! C'est sûr, tu es loin d'avoir achevé ta route, mon joli petit bateau. D'autant que te voilà, sacrée bonne nouvelle, avec un nouveau constructeur en Bretagne.
Trente cinq bateaux au mouillage : une belle image inscrite à l'inventaire de mon panthéon personnel. Il y en a d'autres. Les maraudeurs réunis et dodelinant de l'étrave devant la plage où nous pique niquions ensemble sous les frondaisons pendant la « Maraude des cinquante clefs ». Aux premières loges pour regarder, paresseusement, les régatiers en raid se tirer une bourre monumentale. Allez La Sardine ! Euh non : allez Alain, allez Tapavumirza. Ah, Ka est repassé devant : allez Louis ! Ah, et puis zut, trop difficile à suivre : allez le Maraudeur ! Allez le Maraudeur. Cours Maraud, cours !
Et la remontée au près en zigzagant incessamment dans les lignes d'eau d'aviron à la recherche des indices accrochés aux bouées : rigolo ! Et la ballade vers le pont de la Pyle après avoir embarqué Elodie, la fille de Claude et son compagnon : illustration quasi parfaite du plaisir de se promener à la voile. Et les petits-déjeuners en papotant avec Françoise et Jean-Pierre. Impossible de tout raconter, mais que d'agréables moments en mémoire.
Merci à la famille Herbulot
Quelle moisson de bons souvenirs ! Aucun regret. Ah, si tout de même : ce serait bien un trombinoscope pour mettre (ou remettre) un prénom et un nom sur les visages connus ou inconnus. Faute d'être assez physionomiste, je m'y perds. L'idée n'est pas de moi mais de Gilles, le skipper du Maraudeur prao. Une bonne idée ! Autre regret : ne pas avoir embarqué Florence Herbulot pour la Maraude des 50 clefs sur Rovan. Oui, elle était là, avec sa gentillesse, son érudition immense et modeste tout à la fois. Et son humour. Son père en tant qu'architecte, elle même comme auteur et traductrice ont accompli une œuvre considérable pour rendre la voile accessible au plus grand nombre. Le directeur des ports de Vouglans a été fort bien inspiré, lors de la remise des prix, de mettre sur un pied d'égalité Jean Jacques Herbulot et Eric Tabarly. Ces deux-là ont allumé bien des rêves, trempé dans l'eau salée bien des utopies avant de les concrétiser.
Je n'ai que trop brièvement parlé à Florence Herbulot.
Cette femme aime les petits bateaux, la mer, et les navigations sans chichis. Quel bonheur de l'écouter égrener ses mémoires salées.
Vous voulez un scoop ? Elle travaille à une réédition de son livre « La cuisine à bord ».
Pour du camping en Maraudeur et en autonomie, pour ceux qui pensent qu'on peut être heureux en bateau sans cuisine intégrée, c'est LE livre à embarquer. En vente au National 2009 peut être ! J'y serai.
Et d'ici là, cours Maraud, cours ; sur les lacs, les rivières, les fleuves, les ballastières et les océans ! Emmène nous vers des horizons inconnus, des émotions subtiles, des amitiés nouvelles.
Cours Maraudeur, cours !